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Consulte ton coeur...

48 ans near Paname 666
Consulte ton coeur...


Un élève qui m’a tant appris


mardi 7 juin 2005, par Tariq






Une histoire, une vie...il y a vingt-deux ans déjà. Alors jeune enseignant, Thierry avait croisé ma route.


 



Au fond de la classe, l’oeil sombre, il n’avait pas quitté sa veste ; comme s’il s’apprêtait à sortir de la classe. Nous venions d’y entrer pourtant. Ce fut ma première rencontre avec Thierry. Celles qui suivirent donnèrent naissance à un conflit particulièrement tendu. Seul, tout à la fois fébrile et orgueilleux, il n’avait de cesse de vouloir me démontrer que mon statut de "prof" suffisait à prouver que "je ne pouvais comprendre", que forcément "je le jugeais"...mal, comme "eux". Toutes mes exigences "scolaires", tous mes appels au dialogue, toutes mes suggestions étaient balayés avec la froideur et la haine que l’on réserve à ses ennemis. "Occupez-vous de vos affaires...j’ai pas envie de vous parler..." Il avait le mépris expressif. "Asocial", disait-on.





Jusqu’à cette veille de vacances d’automne où il me remit une composition de français en m’interpellant. "Ca doit vous embêter de lire nos ’compos’ pendant les vacances ?!" me dit-il en épiant , comme pour la saisir dans l’instant, ma réaction. "Evidemment, cher Thierry..." lui répondis-je en le fixant avec insistance. Il en fut gêné mais ce fut le premier échange, la première "chaleur", le premier signe. "A bientôt" lâcha-t-il en accompagnant sa volte-face d’un sourire crispé. Il avait l’affection tellement compliquée.





Les semaines et les mois qui suivirent m’ont permis de dessiner le paysage dans lequel se mouvait Thierry. Trop d’absences, trop de violences avaient mis à mal toutes ses protections. Fragile, tellement, et renfermé, il finit par faire de sa faiblesse une force : il ne laissa à personne le droit de l’aimer. Au mieux admettait-il qu’on le jugeât, scolairement,...et très mal. Il en avait tellement l’habitude qu’il prenait un soin particulier à conforter ce point de vue : il savait prouver sa non-valeur aux adultes, du corps enseignant à la brigade des mineurs. Avec ce paradoxe douloureux de subir ce qu’il croyait décider.





Il y avait la drogue et le vol. Les fugues et les errances. Et puis des signes toujours plus fréquents d’un lien qui se créait au détour de chaque échec. Thierry mettait à l’épreuve ma confiance, ma patience et trahissait avec une régularité déroutante, la moindre de mes exigences humaines, il avait besoin d’être aimé "hors-la-loi", hors normes, à l’extrême de toutes les transgressions. Hors-cela, pas d’amour ! Sa famille éclatée, sa solitude lui avaient appris les trahisons faciles de ceux qui aiment normalement. Les horizons de ce destin avaient fait de l’ombre aux attentes scolaires : Thierry se cognait où d’autres se forment. Il se perdait où d’autres s’orientent.





Thierry m’a appris la tristesse des chemins dessinés très tôt. Je prenais conscience, de la façon la plus violente, qu’il est des adolescents qui gagnent la vie au prix d’une lutte intérieure infernale. Entre la survie et l’école, le choix relève de l’évidence. Le vide tenait lieu d’identité dans la conscience de Thierry, qu’y avait-il à former ? J’ai appris, au creuset de ses doutes et des miens, à être là et à ne rien dire. Le silence était son exigence. Il avait fait de moi un prof. qui n’a plus rien à dire. J’aurais dû transmettre un "savoir", j’eus à vivre les ignorances d’une déroute.





Et puis, il y eut l’éclair d’un voyage effectué ensemble au Mali. Nous étions trois et Thierry parmi nous. Il cessa de "fumer"... un mois durant, il s’émerveilla. "Ici ça vaut un peu la peine...", il avait cette impression troublante de s’introduire dans un paysage qui lui témoignait de la sympathie, sans compte à rendre. Sa volonté s’inonda de ressources : "Je recommence à zéro... je vais m’offrir ce que l’on ne m’a pas donné...". Ces mots aujourd’hui résonnent dans ma mémoire. Au retour, et pendant six mois, Thierry va vivre de cet espoir. De cette force. C’était "gagné"...





Le vide enfin. Thierry gisait au pied d’un arbre quand on l’a retrouvé, sans vie, à l’automne 1983. Le piège d’une vie se refermait : une overdose, simplement. Dans ma tête, des images et des horizons. Et puis un témoignage, un hommage, un geste. Thierry a façonné mon destin d’enseignant. Il n’avait fait le choix de rien et toutes les portes s’étaient fermées. Condamné avant de naître, à naître condamné. Comme tout son entourage, je lui fus nécessaire et insuffisant. Mort à 19 ans, il a ajouté la couleur d’une exigence à mon engagement : être là d’abord, contre vents et marées. Notre métier sans coeur n’est plus un métier. Restera à surmonter les échecs. Thierry n’est plus. Un souvenir ; des images où il faut puiser, avec quelques doutes, la force de poursuivre.





Puissions-nous faire de notre vie un témoignage, et un cadeau pour tous, pour chacun : Thierry n’est plus...mais combien aujourd’hui d’autres Thierry, seuls, perdus, déracinés, de coeur ou d’origine, qui voient l’histoire se répéter, inlassablement, et nos démissions. Si de telles morts ne sont pas autant d’intimes réveils, c’est que quelque chose est déjà mort en nous. La spiritualité ? Peut-être...





"Consulte ton coeur", telle fut la réponse du Messager (PBSL)
41 ans 22/29 2570
:cry: :cry: :cry: C'est tellement triste ton histoire.
En tout cas, tu as raison :(
K
45 ans Hettange Grande, Lorraine 5130
....... je vois pas quoi dire après une histoire pareille, sinon merci de l'avoir partagée avec nous...
37 ans 92 / 69 5897
moi aussi ...superbe!!!


PO facile tu es de retour !!!!
on a même fait un post pour savoir si tu nous avais abandonné !!! ouaiiii :D
48 ans near Paname 666
Oui j'ai vu Sabishoo et merci encore
48 ans near Paname 666
Si vous avez le temps voici un autre texte du même auteur (moi ils m'ont scotchés ces textes) :

J’étais là, assis...
vendredi 3 juin 2005, par Tariq






J’étais là, assis dans un coin de ta vie, à observer tes allées et venues, tes chutes douloureuses, tes bonds de joie et d’espérance. J’étais là, assis dans un coin de ta vie, à t’observer vivre comme un petit enfant, pleurer comme un adulte, souffrir comme un être humain...





J’ai vu ta solitude, j’aurais voulu être ton frère. J’aurais voulu tout savoir de toi, te comprendre, t’accompagner, t’écouter, te parler... J’aurais voulu te sentir, te ressentir, te pressentir. J’étais assis dans un coin de ta vie, triste de ta tristesse, impuissant... fort de mon amour. J’aurais voulu être ton frère, j’ai vu ta solitude.





J’étais assis et j’ai vu tes prières, je les ai entendues sans les avoir toujours comprises. Tu ne parlais de toi que par les autres : tu priais les pauvres, les opprimés, les délaissés. Tu les priais autant que tu priais pour eux. J’étais assis dans un coin de ta vie, j’ai vu ta solitude... j’aurais voulu être ton frère.





Un étranger... qui n’aime point ce que les gens aiment et que les hommes finissent par aimer. C’était cet enseignement, bien sûr, et nous t’aimions tellement, et nous étions tant et tant... et ta solitude. J’ai prié pour comprendre, pleuré de ne rien entendre. J’observais tes allées et venues, assis dans un coin de ta vie.





Un passant. Tu as été un passant, un frère, un ami. Je n’ai rien su de tes douleurs, rien de tes joies, rien de tes blessures. Rien de toi. J’étais assis dans un coin de ta vie, j’aurais voulu être ton frère et j’ai rencontré ta solitude... L’histoire m’est revenue de cet ermite qui savait et ne disait rien. Ce compagnon de Moïse qui refusait les questions. Il lui a appris la patience et l’humilité, la question sans la réponse, le couple et la solitude, le doute et la certitude, l’amour et le détachement...





J’étais assis dans un coin de ta vie, je t’observais. J’avais mille questions, tu n’eus qu’une réponse. Je voulais parler, tu disais le silence. Tu étais si près et si loin, je cherchais ton être tu m’as appris le sens. Saint Augustin distinguait deux souffrances, tu m’as appris deux amours. J’ai aimé ne pas savoir t’aimer car j’ai appris à aimer au-delà de cet amour. Personne ne suffit à personne, n’est-ce pas ? ... Dans un coin de ta vie, j’ai observé cet amour.





Tu aimais. Je t’aimais. J’ai observé tes prières, je me suis penché tout près de leurs murmures : Nous Te demandons Ton Amour, l’amour de ceux que Tu aimes, l’action qui nous permette d’atteindre Ton Amour... et tu pleurais et tu souriais. J’étais assis dans un coin de ta vie, j’aurais voulu être ton frère, j’ai vu ta solitude, j’ai aimé ta liberté.





J’ai aimé ta force et je prie pour qu’Il accueille ta fragilité... Personne, jamais, ne suffit à personne. Je suis resté là, assis, dans un coin de ta vie.
52 ans BREST 3113
J'adore, c'est le style de texte que j'aime. Merci beaucoup Pofacile de les partager avec nous :D ;)
48 ans near Paname 666
y'a pas de quoi...
Si j'vous disais qui les écrits vous seriez étonés ! ;)
52 ans BREST 3113
Ohhhh mais tu attises ma curiosité là... hein c'est qui, c'est qui ??? :lol: (mais si tu dis pas c'est pas grave, je te fais un bisou quand meme ;) )
7404
pofacile a écrit:
Si j'vous disais qui les écrits vous seriez étonés ! ;)


moi ze crois savoir :lol:
48 ans near Paname 666
Tu penses Eve ?

bah tu m'diras vu ta clairevoyance ça m'etone pas !

c'est bien chez toi que j'ai lu :

"je respecte la foi de qui respecte mes blasphèmes"
7404
pofacile a écrit:
Tu penses Eve ?

bah tu m'diras vu ta clairevoyance ça m'etone pas !

c'est bien chez toi que j'ai lu :

"je respecte la foi de qui respecte mes blasphèmes"


oui oui c'est bien chez moi que tu as lu cette phrase (qui n'est pas de moi cependant)
l'auteur dont tu nous fais partager là un peu de son humanité est né le même jour que mon fils (pas la même année hein :lol: ) j'aime ce parallèle...note que je peux me tromper :lol:
48 ans near Paname 666
Un peu de patience Enody ;) j'attend avant de voir ce que pense les gens des textes.

car pour donner un indice :

c'est sur ce que tu as dit qu'on doit te juger et pas sur ce qu'il parrait que tu as dit...
48 ans near Paname 666
C'est bientôt son anniversaire à ton fils ?

Parcequ'il est né le 26 août 1962 ce monsieur...
7404
pofacile a écrit:
C'est bientôt son anniversaire à ton fils ?

Parcequ'il est né le 26 août 1962 ce monsieur...


mon fils est né le 26 août 1997.....
B I U