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Profession d'une foi

E
43 ans 144
Demain je serai un arbre, pousse puis jeune tronc, que le soleil caresse, que l’eau la terre nourrit, que l’ombre apaise, que l’hiver fait mourir.

Je serai un arbre, jeune pousse  
deviendra grande, mes racines profondément ancrées au cœur du monde, bois à l’écorce rugueuse, griffée des marques du temps, au cœur tendre et pur de la vie qui coule en moi.

Je prendrai chaque rayon de soleil pour m’épanouir encore, pour pousser droit et avancer toujours et de mes doigts toucher le ciel.

Je m’accorderai le droit d’avoir mal, mal à m’en dessécher, à en crever, à vouloir m’arracher le cœur, pour le sortir de ma poitrine et voir qu’il bat encore.

Je m’accorderai la douleur, pour en faire le terreau de ma vie, comme le fumier qui fait croître les roses, je l’aurais affrontée, trié le grain de l’ivraie, pour y trouver de quoi pousser plus droite.

Mes branches parfois cingleront ceux qui m’aiment, je serai cruelle, je suis jeune pousse, et me défends comme je le peux, je suis épine, mais à ceux qui comprendront ma violence, je donnerai mon bois pour les chauffer, mes feuilles pour respirer, mes fruits pour les nourrir.

Mes rameaux seront quelquefois tordus, comme mes racines peuvent être noires, quand les orages d’hier viendront tremper mon sol, quand les termites attaqueront mes flancs…Je choisirai de ne pas tomber, je deviendrai roseau, je regarderai la noirceur dans les yeux pour la combattre et lui donner ma verdure.

Je n’aurai pas la certitude de ne jamais tomber, parce qu’alors je m’écroulerai aussi souvent qu’un château de carte qu’une brise effondre, je me nourrirai de mes doutes pour que les nœuds qui couvrent ma peau soient des attaches et non des cordes de pendus.

Je serai entière et passionnée, par l’oiseau qui chante au sein de mon feuillage, par les fourmis qui couvrent mes jambes, par le ciel au dessus de mon corps, par les amants qui gravent leurs noms mêlés sur mon cœur, par la terre qui m’a donné un lit, par la vie qui vibre autour de moi, et dont chaque murmure me plaît.

Je ne condamnerai pas la mésange qui vient prendre mes feuilles pour y bâtir son nid, le bûcheron qui m’ampute pour nourrir sa famille, l’enfant qui m’égratigne pour grimper à ma cime, mais j’abattrai celui qui gratuitement me brûle, pour son plaisir et sa folie, sans voir combien j’ai mal.

Je me laisserai porter par le vent, en d’autres lieux qu’icelui où je suis née, parce que l’endroit devenait trop petit.

Je ne penserai jamais que le jardinier qui veut prendre soin de moi m’est acquis, parce que ce serait ne pas le voir, ne pas l’entendre, ne pas l’écouter. Je n’aurai pas besoin de lui, mais juste envie de ses soins, de telle sorte que je ne l’enfermerai jamais dans le piège de mon tronc pour l’y faire mourir. Je l’apprivoiserai chaque jour, chaque jour échanger et le découvrir, lui donner un peu plus, chaque jour il y aura davantage, car il aura grandi, évolué, j’en aurai fait de même.

Les nuages me regarderont d’en haut, et la jeune pousse que je serai toujours y verra des dragons, des étoiles, du satin et de l’or, des mots et des couleurs inventés, je les raconterai. Parfois le ciel se noircira d’enfer, je n’aurai rien à dire, je frémirai, je serai un arbre qui se tait. Parfois le ciel s’enlisera dans la grisaille, c’est à lui que je parlerai.
Parfois le ciel caressera mon écorce, je rougirai comme une petite fille, et c’est à lui que je dirai au creux des yeux, ce que je suis, et ce qu’il est.
Parfois le ciel me tournera le dos.
Il y aura d’autres ciels... aucun ne sera mieux qu’un autre, car je choisis ceux que je regarde en face et les vois sans les comparer. Ils seront différents, ils ne seront pas nombreux, car mille trésors qui se ressemblent n’en valent aucun unique.

Je serai libre d’aller où me porteront mes pas, car la terre jamais ne sera mon tombeau avant l’heure : arbre-volant, je serai ici et là, arbre arc-en-ciel, je serai demain à la porte de ceux qui m’appelleront, qui réclameront ma force pour s’y reposer, j’aurai parfois besoin de la leur, et je prendrai le temps, toujours, de rendre celui qu’on me donne.

Je ne serai pas toujours à la hauteur de mes promesses, alors je ne promettrai rien, pour essayer encore, tant que j’aurais la certitude, ma certitude croix de bois, que les branches fragiles que je voulais donner aux autres ne sont pas à jeter.

Je serai seule bien souvent, arbre sur un fil d’Ariane, équilibriste dans le ciel, fil que je ne lâcherai pas, pas même d’une nervure, et ce silence, même coupable, même hurlement, je lui parlerai pour qu’il s’apaise, il est celui qui me fera aimer le bruit des autres.

Je me tromperai souvent, car l’erreur est arboricole, mais j’apprendrais de mes erreurs, des cailloux sur lesquels j’ai trébuché, des branches folles que j’ai jetées à la tête de ceux qui sont passés.

J’exigerai de mon tronc qu’il soit fort et solide, mais je lui accorderai le droit de frissonner. J’attendrai de ceux auquel je le prête qu’ils soient forts et solides, mais je ne les jugerai pas quand ils frissonneront.

Je serai ce que je m’efforce déjà d’être.

Volontaire.

Solit/daire.

Libre.

Je suis un arbre.
M
36 ans 9
Très belle allégorie :).
Le choix de l'arbre, symbole de vie, est choisit à merveille;Les images employées avec objectivité rendent cette prose efficace lors de sa lecture: Bravo ^^.
B I U