Sibell a écrit:Citation:Oui, c'est vrai, et c'est pour cela que le patriarcat (qui est exactement ce que tu décris) est une forme d'organisation sociale, pas un idéal (qui se jouerait à une échelle individuelle)
C'est trop réducteur d'expliquer ça par une simple organisation sociale. La société prône ce qu'elle veut, l'humain conserve son libre arbitre. J'ai été élevée dans un milieu extrêmement machiste, où on demande à une gamine de dix ans de faire le service quand on reçoit des invités. Au bout de la dixième fois où j'ai répondu: "Tu as deux jambes et deux bras valides, lève-toi et va te servir tout seul", ils ont vite abandonnés. Ma famille - surtout mes tantes - a essayé de m'inculquer certaines traditions, mais depuis toute petite, je les ai toujours rejetées en bloque. J'ai choisi de m'éloigner de cette éducation; il y a donc, selon moi, bien une dimension individuelle. Je parle bien entendu pour les pays occidentaux.
Citation:Et prends en compte ton profil. Tu es jeune, entourée, sans enfants, pas engagée dans une relation extrêmement durable, avec un caractère fort (et je n'en sais rien de ton profil social, mais je suppose que tu as plus devant toi qu'une vie de pauvreté. Enfin, j'espère.). Tu as à ta disposition tout un ensemble d'outils qui te permettent de faire le choix dont tu sembles penser qu'il est à la disposition de tou-te-s. Or ces outils font bien plus de toi l'exception qu'autre chose.
J'ai supposé - je pense à raison - que la posteuse du sujet vivait en France. C'est donc à l'échelle occidentale que j'ai répondu. Je sais bien qu'il y a des coins du monde où ce n'est pas possible. Mais dans nos pays, on peut dévier ça. Je ne crois pas être une exception en Suisse... Vraiment pas. On dispose relativement tous, des mêmes outils.
Pour ce qui est du caractère fort, je ne vois pas en quoi ça enlève une quelconque individualité au sujet. Au contraire, ça s'y ajoute; la personnalité de quelqu'un, c'est bien ce qui l'isole en tant qu'individu. Qui en fait une personne unique. Quelqu'un qui n'a pas le tempérament pour déjouer le patriarcat, il s'agit de SON caractère, donc d'une individualité.
Quel rapport avec le fait de vivre en occident ?
Non, il y a des aspects qui rendent vulnérables aux rapports de domination dans le couple, c'est tout.
Prenons ma mère. Indépendante financièrement à 17 ans, baroudeuse devant l'éternelle, très en colère contre son père pour avoir toujours dévolu tout le travail domestique à sa mère. Pas une femme soumise, quoi que ce soit.
Elle est restée avec mon père 30 ans. Après plus de 20 ans de vie de couple, lorsque j'étais ado, mon père, pourtant aux idées progressistes, a commencé à ne plus rien faire à la maison. Elle s'est battu. Elle a laissé les tâches ménagères trainer une éternité, s'est disputé, a argumenté, exprimé son ressenti. Longtemps. Trèèèèès longtemps. Des années, en fait. Au point de s'épuiser plus encore qu'elle ne l'aurait été si elle s'était contentée de tout faire en fermant sa gueule. Pourtant, lorsqu'il est devenu evident que ne rien foutre lui convenait très bien, à mon papa, et qu'il allait continuer, elle n'est pas partie pour autant. Pourquoi ? Simple. Les enfants. Nous étions son facteur de vulnérabilité. Elle ne pouvait envisager de vivre en nous voyant une semaine sur deux. Alors elle a plié. Parce que le prix a payer pour ne plus être enfermée dans un rôle de bonniche était trop lourd à payer.
Ma cousine. Jeune. S'est trouvée embarquée dans une relation où elle est seule à s'occuper de son enfant. Même lorsqu'elle vivait avec le père de son enfant. Facteur de vulnérabilité ? L'argent. Pas de formation, pas de boulot. Et l'enfant. Elle n'avait rien, l'enfant est arrivé sans qu'elle l'ait prévu, pas les moyens d'avoir un logement pour elle-seule pour élever son môme. Elle a plié. Ses parents ont fini par l'accueillir, la situation reste très délicate, et elle est toujours la seule à s'occuper de l'enfant.
Et si elle n'avait pas eu d'entourage ?
Pas de famille proche, peu d'amis, pas de travail ? Que la seule personne que tu aies soit ton conjoint ?
Il faut être soi-même dans une situation très favorable pour s'imaginer que tout le monde peut refuser de se taper l'essentiel des tâchés domestiques. Il faut être soi-même extrêmement privilégié-e pour croire que tout le monde dispose des mêmes outils.
Et il ne devrait pas y avoir à déjouer le patriarcat. Si pour échapper au rôle de bonniche, il faut déjouer le patriarcat, alors c'est bien que notre système est fondamentalement injuste et sexiste. Par ailleurs, je n'aime pas beaucoup ton raisonnement. Il tend à rejeter la faute sur les personnes qui voient leur travail domestique exploité, qui n'auraient pas su s'en tirer par elles-mêmes. C'est une méconnaissance terrible et un brin insultante des rapports de domination dans une société.