Bon, c'est parfois bien inexact, mais on comprend l'idée ;) :
"Nous profitions tranquillement d’un hamburger, à côté d’une brouette qui ressemblait à un gigantesque poêle, quand d’un coup ma fiancée me demanda si elle était grosse.
Comme tout gentleman, je lui répondis qu’elle était splendide, mais j’aurais mieux fait de ne pas exagérer autant… Elle me reposa la question, se mettant debout, faisant un tour entier sur elle-même et me demandant de faire bien attention et d’être le plus sincère posible.
Je pris une tête de docteur et marquai une pause tandis que je l’analysais. Petite au regard joueur, un sourire malin se dessinait entre ses joues voluptueuses. Ses bras étaient grassouillets, mais ils me plaisaient. Son décolleté prononcé, si souvent à l’origine de regards luxurieux, soutenait à peine son abondante poitrine fleurie. En dessous de ça, un abdomen conséquent, écrasé par le jean, semblait exiger sa libération immédiate.
Oui, c’est certain. Elle avait un peu grossi depuis que nous nous étions fiancés, trois mois auparavant, mais elle n’avait pas perdu son pouvoir d’attraction sur moi.
Je l’ai vu plusieurs fois grossir pendant les vacances d’hiver et maigrir à l’été, et elle m’a toujours paru la jolie et tendre fille de laquelle je suis tombé amoureux. Jamais je n’ai dit ou fait quelque chose qui puisse lui faire penser que sa silhouette me dérangeait, donc les commentaires sur son physique devaient provenir d’ailleurs : sa mère peut-être, ses amies ou sa soeur? Mais celles-ci pouvaient bien lui dire qu’elle ressemblait à Liz Taylor (mais dans ses dernières années…), pour elle c’est moi qui avait toujours le mot de la fin.
C’est pourquoi, figée là tandis que je m’ôtais la mayonnaise des lèvres, elle me regardait avec l’attente d’un inculpé qui va recevoir la sentence.
Deux choix s’offraient à moi :
Lui dire qu’elle avait grossi et provoquer une crise sur son moral, avec périodes de mélancolie, conduites complexées, suivies par le désespoir induit par les régimes et les footings matinaux auxquels je ne pourrai échapper… De plus, si je reconnaissais son embonpoint, celui-ci se changerait en référent de toutes nos posibles disputes : si un jour je n’avais pas envie de sortir, elle dirait que c’est parce que j’ai honte de m’exhiber avec une baleine. Si je passais un samedi avec des amis, elle penserait que je l’abandonne. Si j’oubliais de lui faire un bisou avant de partir, se serait forcément parce que je ne la désirerais plus comme avant, etc…
Ou, je pouvais mentir, lui dire qu’elle était jolie et mince comme toujours et qu’elle ne devrait pas tenir compte des commentaires jaloux et mal intentionnés.
Pas besoin de réfléchir beaucoup, je choisis la seconde solution et lui fit un bisou sur le front en lui disant qu’elle n’avait pas à s’inquiéter. Elle me regarda d’un air un peu sceptique, mais au final je suppose qu’elle me crut, car elle changea de sujet. Nous avons mangé, ri et beaucoup discuté. J’avais sauvé la journée.
Enfin, c’est ce je pensais quand, au moment de payer les hamburgers, je lui dis sans faire attention : “Allons-nous en bouboule”. D’un coup, ce fut nuit noire. En me rendant compte de ce que je venait de dire, je fis un rapide geste pour signifier que je l’avais fait exprés, que c’était une blague… Mais elle n’était pas stupide, et je vis à ses yeux furibonds que j’étais sur le point de me faire démolir par un ouragan. Elle me parla d’à quel point mon opinion était importante pour elle, et de combien mon attitude lui prouvait que je ne m’intéressais pas à elle, et qu’à partir de ce jour elle me verrait comme quelqu’un capable de feindre des choses qu’il ne pensait pas. Sur tout le chemin pour la raccompagner, elle ne m’adressa pas la parole. L’unique geste que je reçus fut la porte qu’elle me claqua au nez en entrant chez elle.
Pourquoi cela la gêne tant de grossir un peu? Pourquoi cela les gêne toutes de grossir un peu?
Au final, les bourrelets féminins sont les bienvenus! Leur tendance à grossir vient de leur prédisposition génétique pour la grossesse et l’allaitement. Et pourtant on exige chaque jour qu’elles soient un peu plus maigres. De l’état d’insulte, le mot “maigre” est devenu un compliment. Depuis toutes petites on les complexe :
Quand elles sont petites, on les incite à devenir comme les Barbie anorexiques qu’on leur offre, on leur accorde moins de sucreries qu’à leurs frères.
Arrivés à l’adolescence, la garde robe des garçons continue d’être large et confortable, quand les blouses, jeans, tops, shorts féminins semblent être dessinés pour coller à la silhouette, de façon à ce que tout bourrelet soit immédiatement dénoncé.
Et vers 20 ans, les séries, les catalogues, la pub, les commentaires des mamans et des copines… tout semble indiquer que rien n’est plus féminin que la maigreur. Difficile pour une adolescente boulotte de s’imaginer femme.
Dans le pire des cas, le résultat donne une personne névrosée, martyrisée, réprimée et pleine d’ulcères. Pour la majorité, se será la culpabilité d’avoir inclu un plat “interdit” dans le régime. Et quand la culpabilité ne pourra plus être supportée, elle se changera en boulimie.
Peut-être est-ce pour cela que, plus que les hommes, les femmes ont tendance à se gaver quand elles dépriment : elles tentent ainsi de s’autodétruire.
Les nutritionnistes sont de nos jours devenus des people, comme certains chirugiens plastiques, et confondent bien souvent bonne santé et maigreur.
Une fois, j’en écoutais un dire que si nous avions une fille un peu grassouillette, nous devrions être très préoccupés, car cela pouvait détruire son estime d’elle-même. Je me demandai alors si, au lieu de la mettre au régime car elle n’était pas “comme elle devrait être”, il ne serait pas plus recomendable de lui apprendre à ne pas se laisser influencer par les stéréotypes? Tâche difficile.
Une autre fois, j’ai regardé un défilé de mode à la télé. On peut supposer que ce genre d’évènement est censé être apprécié pour sa beauté. Mais je n’ai pas trouvé beau ce que j’ai vu : des bras ressemblant à des fémurs, des cous de bouteilles, des jambes de hérons, des clavicules si prononcées que j’aurais pu accrocher mes chemises dessus. Puis j’ai remarqué les regards, les yeux creusés, les teints pâles et je me suis demandé dans quel état ces filles ressortiraient de ce monde. Combien pourraient faire des enfants en bonne santé? Quel futur les attendait une fois quittés les catwalks? Leur extrême maigreur leur donnait allure d’enfants. Se peut-il que ce nouveau paramètre de la beauté ait un rapport avec l’augmentation démesurée de la pédophilie et de la pronographie infantile dans le monde?
Au Pérou, l’influence des stéréotypes importés de beauté, difficilement accesibles, a eu pour résultat une génération de femmes mécontentes de leur apparence et en lutte constante pour la transformer.
Beaucoup de femmes, si elles pouvaient se choisir avant de naître, se choisiraient grandes, blondes, maigres et avec un teint de poupée. Mais comme elles ne le peuvent pas, elles doivent recourir aux talons, teintures, régimes et maquillage. Dans ce pays, où campe un machisme ancestral, les femmes ont été obligées de consolider leurs qualités extérieures, “mesurables”. Les hommes en échange peuvent être moches et arguer qu’ils ont la “beauté intérieure”. Dans ce monde de plus en plus vaniteux, les femmes emportent la pire partie. Sans parler des conséquences sur le marché de l’emploi : nous les voyons caissières, réceptionnistes, opératrices… Autrefois des métiers mixtes, maintenant exclusivement féminins, occupés par des mannequins de vitrine.
J’admets que moi-même, je n’ai pas pu échapper à l’influence de ce monde “light”. De temps à autres, quand je regarde mon ventre, je me fais du souci. Parfois je me régale d’une ceinture étroite ou d’une blouse bien ajustée : le regard est indomptable.
Mais cela ne change rien à l’amour que je porte à ma petite boulotte. Ceux qui un jour sont tombés amoureux d’une personne forte me comprendront. Vulnérables, tendres, optimistas ou simples… Les qualités qui transcendent le physique, perdurent. L’amour qui entre par les yeux dure le temps d’un fleur. Ma boulotte n’aura jamais un physique de série américaine, mais je suis ravi d’être tombé amoureux de son âme, parce que je sais que demain, quand on sera des vieux à la peau tombante, quand nous serons assis sur le canapé vétuste de norte maison vide, je prendrai ses mains, je lui caresserai ses cheveux blancs, je regarderai son viage épuisé à travers mes cataractes, et je ressentirai la même chose.
J’espère qu’elle ne me reclaquera pas la porte au nez cette nuit."