Je suis très touchée par ton message.
Je suis touchée parce que ce moment fragilisant où l'on se découvre fait écho à ce que j'ai pu aussi ressentir, et je suis touchée par ce que tu appelles ta différence, par cette poitrine hors norme qui semble valoir pour toi toute entière aux yeux de certains inconnus. Ce doit être vraiment difficile, je trouve ça assez violent quand on se sent réduit à une chose physique. Et si l'on peut se mobiliser d'une part pour favoriser un regard plus doux sur la diversité des corps, je crois que ce qui se joue beaucoup est du côté de son propre vécu, de l'acceptation, et de la transformation de la colère que ça peut susciter (la stigmatisation, le coût que ça engage au quotidien, etc).
Je reviens d'une sortie d'achats où j'ai failli pleurer devant la vendeuse et où j'étais en larme tout le long du retour dans ma voiture, pour d'autres raisons, alors on va dire que je suis en mode *sensibilité exacerbée* à la lecture de ton message. ;)
A chaque printemps/été précédent, comment as-tu fait pour passer ce cap en douceur ? Qu'est-ce qui t'a rassuré et aidé à vivre ce moment?
Commencer par sortir plutôt accompagnée ? Rester encore un peu habillée plus que le climat le suggère ? Eviter certains espaces ? Aller à l'opposé et t'afficher, te forcer à affronter les situations redoutées, te préparer des réponses ?
Moi je me souviens que c'était souvent un moment où j'éprouvais le besoin d'acheter des habits pour me rassurer car j'avais l'impression de ne plus du tout pouvoir m'habiller en étant à l'aise.
J'imagine la galère pour se vêtir mais je trouve que lorsque les habits sont confortables ça change tout. N'hésite pas à te racheter des soutiens gorge, même s'il faut les améliorer, si certains que tu as ne sont plus tout à fait ajustés pour toi.
Je pense à tes bras qui cherchent à cacher ta poitrine... Tu n'as pas à te cacher. Si des gens ne se cachent pas pour être eux-mêmes, c'est à dire parfois idiots, parfois malveillants, parfois simplement manquant de retenue, à aucun moment tu n'as à te cacher toi, et à cacher la différence physique que tu as.
Je me disais aussi que ce qui peut aider c'est de se dégager de certaines images, sur ce que ta poitrine pouvait évoquer pour toi/ pour d'autres d'après toi, etc. Je pense au côté très sexualisé de cette partie du corps et à la honte que l'on tend à faire porter aux femmes qui afficheraient trop leur sexualité. Comme si c'était mal. Même si rationnellement il ne s'agit pas du tout de ça je me dis que peut être dans les idées qui traversent l'esprit il y a cette dimension qui peut rendre les choses plus difficiles à accepter tant qu'on ne les détricote pas un peu.
Je me reconnaissais aussi dans le fait de marcher seule dans la rue et d'observer les regards qui s'arrêtent, qui balayent le corps ou qui semblent connotés. Mais je me souviens aussi de toutes ces personnes pour qui je n'existais pas. Et de toutes celles que moi aussi j'ai eu envie de regarder. J'ai compris qu'avec mon corps hors norme c'était probable que j'interpelle plus de monde, qu'avec la stigmatisation de cette particularité là j'allais recevoir certaines connotations plus que d'autres, et je l'accepte mieux, ça me paraît un peu normal dans la mesure où je suis aussi capable de le ressentir pour d'autres.
Ce qui en revanche ne l'est pas, c'est qu'en fonction de ça on se permette de manquer de respect à quelqu'un.
Si des gens te regardent de la façon que tu peux décrire, regarde les à ton tour si tu te sens assez tranquille pour. C'est drôle mais parfois j'ai l'impression d'un dialogue:
- regard connoté: oh elle est X
- regard franc: oui je suis X et je vois que tu le vois. autre chose à dire ?
- non rien. regard qui se détourne simplement (sans forcément être mal à l'aise)
De pures projections à ne pas généraliser évidemment, mais un regard qui accuse réellement réception d'un autre, ce n'est pas rien dire.