Journaliste, recevant chaque mois une lettre d'infos nutritionnelles, j'ai découvert cet excellent article, sur lequel je vous demande de réagir.
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LE CHOIX DU CONSOMMATEUR :
ENTRE
RECOMMANDATIONS, ANXIETE ET PLAISIR
Des nutritionnistes de l’Agence de santé américaine sont devant une fenêtre et regardent les passants dans la rue qui sont presque tous obèses. L’un des experts se tourne vers ses confrères : «Comment se fait-il que, plus on leur donne d’informations nutritionnelles, plus ils grossissent ?». Cette histoire traduit bien les préoccupations actuelles : l’information nutritionnelle est-elle vraiment utile ? Pourrait-elle avoir des effets pervers ? Lors d’un colloque récent de l’Institut français pour la nutrition, Claude Fischler, sociologue au CNRS (Paris) a tenté de répondre à ces questions...
Aucun pays n’a autant cherché que les Etats-Unis à «améliorer» les comportements alimentaires de la population et aucun pays n’a connu jusqu’à présent autant de problèmes avec l’obésité et l’alimentation en général... Pour mieux comprendre la situation, Claude Fischler compare les conceptions américaine et française de l’alimentation.
LA VISION INDIVIDUALISTE DES AMERICAINS
Les Américains ont un rapport à l’alimentation purement individualiste, fondé sur la nutrition, et où l’abondance du choix a une très grande importance. Dans une étude portant sur six pays, ils sont les seuls par exemple à préférer majoritairement avoir le choix entre cinquante parfums de glace plutôt que dix. L’alimentation n’est plus un acte social, mais un acte de consommation purement individuel, qui engage la responsabilité de chacun. Une idéologie relayée aussi bien par l’industrie que par le discours médical et les organismes de santé publique. Le discours est toujours le même : «there are no good or bad foods, there are only bad diets». Il n’y a pas de bons ou de mauvais aliments, il n’ya que des mauvais régimes alimentaires... Sous-entendu, chacun a la responsabilité de faire les bons choix, adaptés à ses propres besoins (qui sont uniques), pour préserver sa santé. Cette responsabilité individuelle des choix favorise la culpabilité et l’angoisse. Ne pas faire les bons choix, c’est «faire des compromis». Le consommateur américain vit donc l’alimentation avec angoisse, seul face à des prescriptions, des mises en garde, des sollicitations...
LA VISION CONVIVIALE DES FRANÇAIS
La perception française est très différente, caractérisée par l’idée de partage et de sociabilité. Pour les Français, il est certes important d’avoir une alimentation variée et équilibrée, mais il est aussi important que l’alimentation soit conviviale et procure un plaisir partagé. Le plaisir, notion totalement absente du discours américain, est garanti par la qualité des produits et le partage. A la question «pour vous qu’est-ce que bien manger ?», les Français et les Italiens parlent volontiers des produits, qualité, fraîcheur, naturel... Et du déroulement du repas : «à table, sans journal, sans télévision», en famille, avec des amis... Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas chez eux d’anxiété. Mais elle est de nature différente, peut-être davantage liée à la difficulté de vivre au quotidien ces désirs de convivialité et de partage.
Paradoxalement, même en France, la perception individualiste est de plus en plus favorisée : à la fois par les acteurs de santé publique, qui tendent à médicaliser l’alimentation, mais aussi par l’offre agroalimentaire, qui cherche à identifier pour les satisfaire et les encourager certaines «attentes» du public, nées des changements majeurs du mode de vie (urbanisation, sédentarité, obsession de la minceur).
L’OBESITE, PROBLEME DE SANTE ET D’ENVIRONNEMENT
Même si nous avons diminué nos apports alimentaires, nous gardons en moyenne un léger excès d’apports par rapport à nos dépenses énergétiques. Par ailleurs, face à des consommateurs qui mangent de moins en moins (un tiers de calories en moins qu’il y a 100 ans), l’industrie a deux possibilités : soit les inciter à manger davantage en proposant des calories très bon marché et faciles à absorber, stratégie que Claude Fischler qualifie d’américaine ; soit proposer des produits à valeur ajoutée, c’est-à-dire des produits transformés qui apportent du service, de la commodité, de la cuisine toute faite, du régime ou, dans le meilleur des cas, de la qualité et des caractéristiques organoleptiques intéressantes. Dans ce contexte, la lutte contre l’obésité ne peut s’envisager qu’en termes de politique globale, ce qui va de l’urbanisme à la santé. Il faut préserver le modèle français, qui jusqu’ici nous a plus ou moins protégés, et ne pas faire de l’alimentation un problème purement individuel en le médicalisant à outrance. Face à des sollicitations constantes, le consommateur, s’il est le seul arbitre de ses décisions alimentaires, a beaucoup de mal à se réguler. Le comportement alimentaire change non seulement en fonction de décisions individuelles, mais aussi en fonction de l’environnement. Et l’offre alimentaire fait partie de l’environnement : si un industriel augmente la taille des portions d’un aliment suffisamment bon, les clients augmentent leur consommation.
L’ALIMENTATION DOIT RESTER UN PLAISIR PARTAGÉ
L’alimentation est un des plus grands plaisirs de l’existence et doit le rester pour ne pas engendrer d’anxiété. L’éducation nutritionnelle doit donc accorder la même importance à l’éducation du goût et de la sensibilité gastronomique. La sociabilité, la convivialité doivent rester des valeurs essentielles de notre culture alimentaire. Les industriels peuvent y contribuer, en proposant des produits à la fois de bonne qualité gustative et nutritionnelle et qui facilitent la convivialité.
*colloque « des aliments et des hommes : entre science et idéologie, définir ses propres repères » des 8 et 9 décembre 2004 – IFN – 71, av V. Hugo – 75006 Paris. Tél. 01.45.00.92.50.
<sum> Extrait de Nutrinews-Cerin - Site internet cerin.org/nutrinews