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Malice au pays du Silence

C
56 ans 25
Malice au pays du Silence

Une chose à plumes nommée Malice vient de naître. On l’emmène au pays du Silence pour voir s’il  
y a moyen qu’on s’en occupe. Il y a moyen.

Malice, la chose à plumes, vient d’être adoptée par une maman chêne et un papa chêne. Bébé Malice a un grand frère. C’est un roseau. Il est âgé de deux ans quand elle arrive dans la famille. Trognon (c’est son nom) est trop mignon quand il plie sous le vent, ses cheveux flottant autour de son doux visage d’ange. Lui aussi a été adopté. Papa Chêne et Maman Chêne sont très fiers de leurs deux enfants, et aussi de former une belle famille.

Le Silence est un pays peuplé presque uniquement de chênes grands et forts. Tous les Silencieux ignorent ce qu’est un oiseau. Malice aussi ignore sa vraie nature. Ses parents sont des chênes et elle tente de les imiter du mieux qu’elle peut.

Les affaires marchent rondement et la famille est au septième ciel.

Pourtant, Trognon veut sauter du haut du septième ciel. Pourquoi?

Et Maman Chêne se fait passer pour une martyr. Pourquoi?

Et Papa Chêne sourit toujours (quand il est là). Pourquoi?

Malice est bien méchante. Elle ignore tout de sa vraie nature, mais elle sait qu’elle est vilaine. Pour se soulager de son angoisse, Malice a des routines, des gestes qu’elle se sent obligée de répéter le soir avant d’aller dormir. Elle croit que si elle n’accomplit pas ces gestes répétitifs, sa famille toute entière tombera du haut du septième ciel par sa faute.

Malice est aux prises avec le mal-être. Ce mal d’être la fait douter de tout, tout, tout. Entre autres, Malice doute qu’il y ait une raison sérieuse pour expliquer sa naissance. Dans son imaginaire, elle vient de Nullepart. Nullepart, ce pays effrayant, est dans l’esprit de Malice comme une épée de Damoclès. Elle se dit dans son for intérieur : « Je me trouve au pays du Silence comme en période de probation, et je risque fort d’être renvoyée si je me conduis mal. ». Les années se succèdent et la vilaine Malice a de plus en plus peur du néant qui la guette. Le risque qu’il représente grossit dans son esprit, comme un ballon de baudruche qui menace d’éclater tellement il est gros. Prise de violents vertiges, Malice consulte des sages et de nombreux livres, qui la renseignent sur sa nature véritable, et sur ce qu’elle ressent. C’est ainsi que Malice apprend qu’elle est un oiseau. « Un oiseau? Tiens c’est bizarre, ça! Pourquoi ne m’a-t-on jamais dit que j’étais un oiseau? » Elle le dit à son entourage et à sa famille. Elle dit : « Je suis un OISEAU, j’ai besoin qu’on m’entende », mais eux, bizarrement, ils comprennent : « Je suis un ROSEAU, j’ai besoin de silence ». Malice reste incomprise pendant plusieurs années. Jamais son entourage ne cherche à connaître sa vraie nature. Comme il n’y a aucun autre oiseau dans tout le pays du Silence, on n’a aucun point de repère. Malice, sans l’avoir voulu, devient le ROSEAU QUI A BESOIN DE SILENCE.

Et le silence règne.

Malice a 37 ans. Elle a une petite fille qui s’appelle Aurore et qui a 11 ans. Un matin, Malice se lève et voit son reflet dans le miroir. Sa consternation est totale. Elle n’a plus qu’une seule plume sur le corps. Une seule petite plume au bout de la queue, qui menace de tomber au premier gros coup de vent. Ses yeux sont deux néants noirs. Son bec ressemble à une petite limace grise toute desséchée. Ses joues sont creusées par deux sillons de misère. Sa voix, autrefois cristalline, est devenue rauque et étouffée. Elle ne chante plus jamais et semble vivre dans une cage invisible. Malice est déprimée depuis trop longtemps. Elle n’a plus envie de rien.

« Que je suis triste! Quel désespoir! » se dit Malice en contemplant avec consternation l’unique plume qu’il lui reste et le néant de ses yeux dans le miroir.

« Il faut que tout cela change immédiatement! Je suis toute déplumée et j’ai tout le temps froid. J’ai peur. Qu’est-ce qui m’arrive? »

Un cri d’horreur sort de son bec.
« Arghhhhh!!!!!! » s’écrie Malice, l’aile droite pointée vers le miroir dans un geste accusateur.

Ce cri, quoique rauque et étouffé, est en lui-même une horreur, une abomination qui souille par sa laideur la contrée du Silence. Car comme chacun le sait, le cri est un très mauvais présage.

Si les sentiments, même violents, sont de mise au pays du Silence, la parole, elle, est taboue. Pour en témoigner, il y a à l’entrée de chaque ville du pays, un écriteau sur lequel on peut lire, en grandes lettres dorées : Le silence est d’or, la parole est taboue. Puis juste en-dessous, en plus petit : Ce qui mérite d’être tu, mérite d’être bien tu. Tous les habitants sans exception ont cette règle d’or gravée dans le cœur. Elle a pour but de maintenir l’ordre et l’harmonie au sein des collectivités et chacun la respecte sans se poser de questions. Pour les chênes, qui constituent 99 % de la population, la règle va de soi, car le silence est dans leur nature. Mais pour l’individu qui a une voix, cela pose un problème. Quand il se rend compte qu’il vaut mieux se taire sous peine d’être expulsé, il est contraint de prendre une décision. Se taire n’est pas chose facile pour un individu doté d’une voix, mais s’il considère que le sacrifice en vaut la peine, il est concevable qu’il choisisse de plein gré cette option. Son choix ne sera pas facile à vivre, mais au moins, l’individu aura exercé son pouvoir de décision. Si toutefois il s’agit d’un enfant, il n’a pas de pouvoir de décision. Il est sous l’autorité des chênes qui s’en occupent. La seule option d’un enfant doté d’une voix est d’apprendre à se taire au plus vite. Sa survie en dépend. C’est très certainement le cas de Malice. Dès l’enfance, elle apprend à se conformer aux attentes des autres car sa survie en dépend.

Du haut de la montagne, Papa Chêne n’entend pas la réflexion de Malice, mais il perçoit très distinctement son cri de douleur. Le bruit porte très loin dans cette contrée silencieuse. À son tour, son visage se tord de douleur. Papa Chêne n’est pas insensible, loin de là, mais il est démuni face à la douleur des autres. Il est souffrant, lui aussi. Sa sève est beaucoup trop sucrée, alors la maladie, sournoisement, s’est installée, causant plusieurs dommages à ses organes internes et occasionnant d’affreuses souffrances. Papa Chêne se rend bien compte que Malice est malheureuse et, quoique démuni face à la douleur de sa fille, il s’avise de faire de son mieux pour la soulager. Papa Chêne se met à réfléchir à sa propre expérience de vie, et finit par conclure que sa fille a besoin d’eau, de soleil, d’ombre, de minéraux et de silence pour être heureuse.

Malgré l’aide de son papa, qui lui fournit eau, soleil, ombre, minéraux et silence, Malice a perdu presque toutes ses plumes.

Papa Chêne ne sait plus quoi faire. Il veut aider sa fille et sa petite-fille Aurore de tout son cœur, mais rien n’y fait. Malice continue de dépérir un peu plus chaque jour. Elle aime beaucoup son père, et elle apprécie tout ce qu’il fait pour elle et Aurore, mais cela ne l’empêche pas de continuer à dépérir. La solution se trouve ailleurs. Parfois, l’amour n’est pas suffisant, il faut bien l’admettre.

Le pays du Silence ne donne pas à Malice les nutriments dont elle a besoin, c’est clair. Contrairement aux chênes et aux roseaux, Malice n’a pas de racines. Elle ne peut donc pas puiser sa force dans la terre de son pays d’adoption. D’ailleurs, c’est là toute la tragédie! La famille de Malice ne comprend pas pourquoi elle dépérit un peu plus chaque année. Tous ceux qui l’aiment veulent qu’elle trouve la force de se faire pousser des racines, mais Malice n’en a tout simplement pas la capacité. Ce n’est pas dans sa nature. Elle fonctionne autrement. Malice est sûre de cela maintenant. La terre du pays du Silence ne peut ni la nourrir, ni la guérir.

Malice avait trente-huit plumes.

Elle en a perdu trente-sept.

Elles sont allées au pays de Nullepart, Malice en est convaincue.

Comment pourra-t-elle les récupérer? Doit-elle prendre le risque d’aller Nullepart?

Malice regarde ses ailes toutes déplumées et se dit qu’elles doivent sûrement servir à quelque chose. Mais quoi? Elle ne le sait pas. Ou du moins, elle ne s’en souvient plus. Parfois, en rêve, elle se voit battant des ailes, survolant forêts, vallées et montagnes. Ses ailes servent-elles donc à voler comme elle l’imagine en rêve? Peut-elle voler? Elle n’en sait rien. Toutefois, il y a une chose dont elle est sûre : elle doit partir loin du pays du Silence. Ce pays est sans aucun doute très néfaste pour elle. Il ne lui reste qu’une seule plume sur trente-huit! Elle doit prendre le risque d’aller Nullepart pour récupérer ses trente-sept plumes.

Malice n’a plus le luxe d’attendre.

Son frère, sa mère et son père se trouvent bien au pays du Silence. Elle ne peut ni ne veut les forcer à la suivre.

Malice doit guérir. Elle doit guérir pour pouvoir voler. Et surtout, elle doit quitter le pays du Silence à tout jamais afin d’être une bonne mère pour Aurore. Le silence, tel qu’elle l’a vécu, est sûrement ce qui se rapproche le plus de l’enfer. Il est dévastateur. C’est une des pires tortures qui soit. Le silence est porteur de maladies.

Malice fait ses bagages et part avec Aurore. Elle avance très lentement, à petits pas de bébé, les yeux baignés de larmes et le cœur plein de tristesse. Soudainement, prise de remords, elle s’arrête et se dit : « Mais que suis-je en train de faire? Je délaisse mon père alors qu’il est souffrant. Quelle ingrate! Je ne peux pas faire ça! Je dois retourner vers lui. ». À ce moment, Malice tourne la tête et aperçoit son père dans le lointain. Trop contente de le voir, elle oublie les règles d’usage du pays du Silence. Elle dépose ses bagages par terre, puis se met à sautiller sur place en battant des ailes frénétiquement : « Papaaaa! Papaaaaaa! Me vois-tu? » crie-t-elle. Oui, il l’a vue. Il semble très en colère et fait signe à Malice de se taire tout de suite. Malice est toute déconfite. Pourquoi son père est-il en colère contre elle? Ne l’aime-t-il pas? Malice, désespérée, lui crie une dernière fois : « Je suis un oiseau, j’ai besoin qu’on m’entende! Me comprends-tu papa? S’il te plaît, ne te fâche pas! » Au loin, son père agite ses branches de façon autoritaire pour qu’elle se taise une bonne fois pour toutes. Alors Malice, toute penaude, dit à voix basse : « Au revoir, papa. Je reviendrai te voir quand je serai guérie. Allez viens Aurore, on y va. »

Elle reprend ses bagages et, d’un pas déterminé cette fois, se rend jusqu’à la frontière avec Aurore. Une fois sorties du pays, elles marchent encore une bonne heure. À l’horizon, Malice aperçoit une forêt, des montagnes et une vallée luxuriante. Elle dit à Aurore : « Accélérons le pas, je crois que nous arrivons quelque part. » Quinze minutes plus tard, elles sont aux portes d’un joli village. Sur un écriteau, on peut lire en grandes lettres bleues : Bienvenue au Pays des Merveilles. « Eh bien, ça alors! » se dit Malice, « et moi qui croyais aller Nullepart! » À ce moment précis, une volée d’oiseaux passe au-dessus de leurs têtes en lâchant de petits cris plaintifs. « Sois, sois, sois! », semblent-ils dire tous en choeur. Malice, le visage tourné vers le ciel, les regarde passer. Dans le néant de ses yeux noirs, des étoiles scintillent comme autant de témoignages de sa richesse intérieure à exploiter. Malice se tourne vers Aurore et lui annonce en souriant : « Nous sommes arrivées, mon trésor. Ici, au Pays des Merveilles, nous allons apprendre à voler. »

FIN
34 ans Belgique 763
C'est vraiment une trés trés trés belle histoire je les lues d'une traite sans m'en défaire, j'étais fan :) Belle histoire franchement!!! ;)
C
56 ans 25
Merci Guana! :)

J'ai écrit ce conte il y a deux semaines environ pour raconter comment je me sens vis-à-vis de ma famille. J'hésite à donner ce texte à mon père qui est malade. Ça m'a fait du bien de l'écrire en tout cas. À ton âge, je ressentais tout ce que j'ai écrit ici dans cette histoire, mais je n'aurais pas été capable de le formuler, ni de m'accorder le droit de parler. C'est dommage, mais il m'a fallu plus de vingt ans pour ME choisir, pour choisir de vivre et non pas de survivre. Des Malice, il y en a beaucoup autour de nous, car les filles et les femmes portent souvent sur leurs épaules le poids des non-dits et des tabous, que ce soit dans leur couple, dans leur famille ou même au travail. J'ai besoin de croire en une fin heureuse pour toutes les Malice et pour moi-même. Je souhaite que toutes les Malice trouvent leur Pays des Merveilles, comme je me le souhaite à moi-même.

Bonne journée Guana et prends bien soin de toi!
34 ans Belgique 763
Merci beaucoup chocolatinhe, ce que dis la me va droit au coeur, c'est rare qu'on s'interesse a moi et la tu le fais. Moi aussi j'écris des poêmes tu peux toujours aller jeter un coup d'oeil sur mon cowboys blog parce que mon skyblog je le trouve pas térrible, voici l'adresse: http://thediaryofguana55.c0wb0ys.org/ ce n'est qu'un début mais ces mes poêmes, tu me diras ce quer tu en penses, et pour les autres personnes qui passent ici vous pouvez aussi aller le voir et laissé des commentaires, merci et Chocolatine, encore une fois ton texte me fait trés réfléchiret je le trouve magnifique, tu as beaucoup de talent (même si uune fille de 15ans dit ca a une adulte, ben elle le pense ;) )
S
37 ans france 2687
wow po mal
38 ans 1085
Très jolie, très touchant.... vive la poésie
49 ans Campagne Avesnoise 8546
C'est une magnifique histoire que toutes les petites filles devraient connaître, pour ne jamais désespérer et toujours chercher LEUR pays des merveilles.

Bravo ;)
C
56 ans 25
Guana55 a écrit:
Merci beaucoup chocolatinhe, ce que dis la me va droit au coeur, c'est rare qu'on s'interesse a moi et la tu le fais. Moi aussi j'écris des poêmes tu peux toujours aller jeter un coup d'oeil sur mon cowboys blog parce que mon skyblog je le trouve pas térrible, voici l'adresse: http://thediaryofguana55.c0wb0ys.org/ ce n'est qu'un début mais ces mes poêmes, tu me diras ce quer tu en penses, et pour les autres personnes qui passent ici vous pouvez aussi aller le voir et laissé des commentaires, merci et Chocolatine, encore une fois ton texte me fait trés réfléchiret je le trouve magnifique, tu as beaucoup de talent (même si uune fille de 15ans dit ca a une adulte, ben elle le pense ;) )


Guana, ils sont très très bien tes poèmes! J'aime beaucoup Photos jaunies.

Bonne journée!

XXX
B I U