Bonjour,
J'ai deja envoye un courriel a Laurent Ruquier, sur Europe 1 et je tenais a vous faire part de ce que j'ai recu.
Tellement cela me revolte. Avant tout, je tenais a dire que je ne partage pas tout a fait l'engagement des etudiants qui sont descendus dans la rue et qui ont fait de la casse a l'EHESS ou a la Sorbonne, bien que l'article relatif au CPE dans la loi pour l'egalité des chances me semble etre une boite de Pandore.
Je vous ecris pour vous faire part d'une "experience" d'"observation participante" d'une etudiante aupres des forces de l'ordre. Il est courant de critiquer les pays etrangers pour les degradations et le non-respect de la personne humaine, mais ce texte montre que les pratiques francaises sont similaires. Non-respect des procedures, humiliations, degradations de la personne humaine, viol. Oui, viol, fouiller une personne obligee d'etre nue dans ses parties intimes est un viol, ce n'est certainement pas la justice francaise ni europeenne qui peut me contredire. Bien sur, on peut se dire que cette etudiante a bien cherche ce qui lui arrive. Mais, dans un Etat de droit, comment se fait-il que certaines personnes ne respectent plus rien ? Si rien n’est denonce, ces personnes, les policiers, vont instaurer une veritable culture de la violence dans leur corporation. Comment peut-on envisager une societé de liberte et de droit avec de telles derives ? Les rapports, construits sur l’usage de la force du plus fort du moment, sont-ils la base de la societe a venir ?
Voici le texte :
Date: Tue, 25 Apr 2006 14:46:39 -0700
From: myasz
Bonjour,
je me permet de vous écrire suite à votre appel à témoin. Ma cousine a été arrêtée à Paris le 30 mars pendant une manifestation de blocage de la gare de Lyon à Paris. Elle passe en jugement dans 2 semaines et je ne sais pas trop vers qui me tourner pour trouver de l'aide. Apres avoir signé et diffusé massivement la pétition de l'humanité pour l'amnistie, et fait d'autres démarches, les peines de prison ferme et de fortes amendes qu'elle risque m'effraient. Ces mesures sont disproportionnées, et ce serait plutôt à elle de porter plainte contre les mauvais traitements de la police.
Je vous laisse juger de cette affaire en vous communiquant son récit.
C'est une jeune étudiante de 20 ans (Censier - Paris III et Ecole Normale Supérieure) et voici son témoignage.
AU SECOURS, LA POLICE DERAILLE !
Nous, étudiants parisiens qui étions plus de deux mille à bloquer la gare de Lyon ce jeudi 30 mars, avons tous commis la même erreur : emportés par notre enthousiasme, nous nous sommes trompés d'un jour et les policiers n'avaient pas encore l'esprit à la rigolade. Pourtant sur les rails l'ambiance était tout à fait détendue, malgré les cieux peu cléments, le chef de gare grognon et la rangée de gendarmes mobiles qui obstruait notre horizon. Alors que les cailloux et les boulons ne volaient qu'entre les mains des jongleurs, ces trouble-fêtes décidèrent que la plaisanterie avait assez duré. Le chef de gare tout d'abord, fort de ses indispensables attributs - casquette et moustache – vint nous sommer de quitter les lieux ; comme nous n'obtempérions pas assez rapidement à leur goût, nous vîmes se déployer autour de nous les boucliers de nos amis gendarmes mobiles. Ils tentèrent de s'en servir pour nous repousser hors des voies. La stratégie aurait pu fonctionner, mais ils avaient oublié de se mettre d'accord sur la direction à suivre. Résultat : un panini d'étudiants compressés entre deux tranches de poulets euh...pardon de gendarmes, et une situation pour le moins absurde puisque nous nous retrouvions immobilisés par ceux-là même qui étaient censés nous évacuer. Ceux d'entre eux qui se trouvaient un peu en retrait par rapport à la cohue ont bien tenté de se faire
discrètement entendre auprès de leurs collègues, mais ils étaient eux-mêmes trop embarrassés pour proposer une alternative efficace. Tout cela engendra moult bousculades, piétinements, coups de matraque et bris de lunettes. Même s'il est d'autant plus difficile de reconnaître ses erreurs qu'on appartient à un corps de police, ces chers fonctionnaires devraient au moins admettre qu'ils ont eu de la chance que nous soyons pacifistes ; car quand on pousse de toutes ses forces à en perdre l'équilibre, il vaut mieux tomber sur quelqu'un de pas trop rancunier et au milieu d'une foule qui ne tient pas à en découdre par la violence. A moins que les masques à gaz soient considérés comme des armes ?
J'ai vu un gendarme arracher le sien à l'un d'entre nous - mesure de précaution sans doute. Pour ma part je me trouvais en première ligne, donc particulièrement écrasée par les boucliers de ces Messieurs. Je suis tombée à plusieurs reprises, je me prenais pas mal de coups mais je tenais à rester avec les autres, bien que les gendarmes m'aient invitée à passer de l'autre côté de leur cordon pour « me mettre à l'abri ». C'est seulement après qu'un coup mal placé eu brisé mes lunettes que je me suis laissée entraîner derrière eux, parce que je ne voyais plus rien.. Il était environ 17h30.
PAS D'AVERTISSEMENT DE "MISE EN GARDE A VUE"
Quelques minutes plus tard, je me retrouvais dans un fourgon avec dix autres personnes ; on prit nos identités, nos sacs, nos téléphones, on nous menotta et on nous emmena dans le commissariat du XIIIe. On me prit aussi mes lunettes dont seul un verre manquait. Nous n'étions alors pas encore trop inquiets, puisque aucun d'entre nous n'avait commis d'autre infraction que celle d'occuper la gare, et que cette infraction là nous l'avions tous commise ensemble. Nous avons attendu un long moment dans des bureaux, pendant qu'ils effectuaient un second contrôle d'identité. Comme le sac poubelle contenant mes affaires se trouvait à mes pieds, je demandai si je pouvais y prendre un livre. «On ne lit pas dans un commissariat ! » me fut-il sèchement répondu. Le ton était donné, il n'était pas question de nous donner de quoi meubler notre attente. L'agent qui m'interrogeait me demanda ensuite si je voulais voir un avocat, mais comme il n'était alors pas encore question de garde à vue je lui ai demandé à quoi cela servirait. Il m'affirma que c'était seulement pour vérifier qu'on me laissai aller aux toilettes, qu'on me donnait à manger. Je pensais être libérée dans les heures qui suivaient, j'ai dit que ce n'était pas la peine. Je l'ai bien regretté, puisque je n'ai pu revenir sur ma décision que 24h plus tard.
Une fois cette formalité accomplie on m'a emmenée vers les cellules ; c'est là que j'ai compris que nous étions en garde à vue, sans que personne n'ait pris la peine de nous le préciser. J'ai eu un choc en voyant l'une des filles qui se trouvait avec moi dans le fourgon derrière une grande vitre de verre, dans une toute petite cellule d'environ 3m² et au milieu d'un tas de vieilles barquettes de nourriture ; un instant je me suis vraiment crue au zoo, devant un chimpanzé.
UNE ANIMALISATION AMUSANTE POUR LA FORCE PUBLIQUE
« Quand tu l'auras paluchée, tu pourras la remettre dans la cage ? ». Les « agents de la force publique » parlaient de nous comme si nous n'étions pas là, et, déjà à ce moment s'amusaient bien de cette animalisation. Ils racontaient l'arrestation de Coline comme une bonne blague : au moment de l'évacuation elle était en train de se faire piétiner par tout le monde quand une main secourable lui fut tendue. « Venez Mademoiselle, on va vous faire sortir par les quais » ; du coup elle a cru que le gendarme la draguait, et elle a atterri dans un fourgon...
Une femme m'a emmenée pour me fouiller, elle m'a demandé de retirer mes bijoux, mes lacets, mon soutien-gorge, ce qui restait de mes lunettes, bref tout ce qui aurait pu m'aider à concrétiser une soudaine envie de me pendre ou de me trancher les veines. Ensuite ils ont pris mes empreintes, et j'ai posé de face et de profil pour qu'on me prenne en photo avec mon nom et mon tout nouveau numéro de matricule entre les mains. On a dû s'y prendre à deux fois, parce qu'au début je souriais encore et ça ne faisait pas sérieux.
Pendant ce temps, une fille à côté de moi se faisait vertement tancer parce que ses mains étaient trop crispées pour qu'ils parviennent à prendre ses empreintes correctement : « Mais détends-toi bon sang, c'est pas possible, ça ! On va jamais réussir à te palucher si tu continues ! ». Finalement je me suis retrouvée avec quatre autres filles dans une mini-cellule. Elle empestait l'urine et la sueur. Nous avons demandé aux « agents de la force publique » pourquoi elle était aussi sâle ils se sont contentés de rire. Au début nous tâchions encore de sympathiser avec eux, dans l'espoir qu'ils laissent la porte ouverte quelques minutes pour aérer ou qu'ils nous donnent une cigarette ; peine perdue évidemment. L'un d'entre eux semblait même prendre un malin plaisir à faire ses pause-cigarettes juste devant notre « cage », en nous regardant avec un grand sourire. Chaque fois que quelqu'un passait nous lui demandions quand est-ce que nous allions sortir ; chaque fois ils nous répondaient soit qu'ils n'en savaient rien, soit que nous serions bientôt dehors. Finalement la nuit arriva, on pensait encore qu'ils allaient nous relâcher incessamment sous peu ; une chinoise nous avait rejoints et nous commencions à nous sentir vraiment à l'étroit.
DANS L'URINE, DEGRADATIONS ET HUMILIATIONS
Nous avons passé une partie de la nuit allongées en ligne à même le sol imbibé d'urine, le nez collé à une fente sous la porte par laquelle circulait un tout petit peu d'air. Ils sont venus ensuite nous chercher les unes après les autres : ils ont emmené les deux filles qui étaient mineures au dépôt car elles n'avaient pas le droit de dormir au commissariat.
Notre tour vint vers deux heures du matin : après qu'on eut fait nos dépositions, ils nous ont descendues dans une nouvelle cellule, plus grande et plus propre. Mais comme on ne peut pas tout avoir, les policiers d'en bas – hiérarchiquement inférieurs à ceux d'en haut, comme il se doit - étaient encore pires que les autres : ils nous chantaient à tue-tête des slogans anti-cpe en s'esclaffant, ils nous interdisaient de ramener du papier toilette dans nos cellule pour nous moucher, ils faisaient semblant d'ouvrir notre cellule pour nous relâcher, ils ne nous laissaient aller aux toilettes que quand ils jugeaient qu'on les avait suppliés assez longtemps... Depuis la veille on ne nous avait toujours pas donné à manger : notre premier repas fut constitué de deux galettes bretonnes et d'une brique de jus de fruit, en guise de petit déjeuner le vendredi matin.
Il faisait assez froid dans la cellule. On nous a donné deux couvertures, mais en nous prévenant : « les mecs qui ont dormi dans ces couvertures, ils avaient des poux, des puces, ils avaient même la gale ; maintenant vous en faites ce que vous voulez. ». De toute évidence, notre désarroi leur faisait plaisir, ainsi ils avaient l'impression d'avoir aussi de l'autorité sur quelqu'un. Par un moment dans la nuit nous avons eu un fou rire toutes les trois, pour une raison quelconque ; alors que personne à l'extérieur ne s'était manifestés depuis plusieurs heures, une voix hargneuse a aussitôt retentit : « Et les filles, vous vous croyez en colonie de vacances ou quoi ? ».
Mais globalement nous leur avons plutôt donné satisfaction : quand ils sont venus nous chercher le vendredi soir- pour de vrai cette fois, et après environ quatre heures de silence absolu pendant lesquelles nous les avions appelés en vain pour aller aux toilettes - nous étions toutes les trois au bord de la crise de nerf... Il était 18 heures, on nous a emmenées au dépôt sur l'île de la cité sans nous donner au départ plus d'explication. Ils n'en ont pas donné plus à nos amis qui se relayaient depuis 24h devant le commissariat : à ceux qui nous avaient vu partir ils ont refusé de dire où on nous emmenait, aux autres ils ont fait croire que nous nous trouvions toujours dans le commissariat.
DES DROITS BAFOUES
Ils nous ont fait signer plusieurs papiers, ils ne voulaient même pas nous laisser les lire : « je croyais que tu voulais sortir rapidement ! tu n'as pas perdu assez de temps en cellule ? Ne viens pas te plaindre après que tu es restée ici trop longtemps ! ».
Je suis arrivée au dépôt dans un piètre état : je ne pouvais pas m'arrêter de pleurer, j'avais vraiment l'impression de toucher le fond ; je suppliai tous les gens que je voyais de me rendre mes lunettes, parce que depuis le début j'étais incapable de distinguer les visages des gens autour de moi.
VIOL
Finalement deux femmes sont venues me chercher pour m'emmener dans une petite pièce où elles m'ont demandé de me déshabiller entièrement, de me baisser... Il y avait des gens qui entraient, qui sortaient, je ne pouvais pas les voir j'ai cru que j'allais vraiment devenir folle.
Heureusement, au dépôt les cellules étaient beaucoup plus confortables : une pour deux, avec une « cuvette » entre les deux lits. Les bonnes sœurs qui s'en occupaient s'appliquaient à les rendre aussi viables que possible. J'ai pu retrouver mon calme, et discuter un peu avec C., qui partageait ma cellule. Elle aussi semblait vraiment ébranlée. Alors qu'elle était arrivée la veille d'humeur tellement joyeuse que les « agents de la force publique » eux-mêmes en avaient été ébahis, qu'elle avait passé toutes les premières heures à flirter avec les CRS, qu'au début elle s'amusait tant à chanter et à rire avec une de ses copines qui se trouvait également avec nous que nous aurions toutes tout donné pour la faire taire, C., qui semblait au départ inoxydable, était maintenant tout à fait éteinte. Dans cette nouvelle cellule adoucie par les lits et l'attention des bonnes sœurs, nous avons fait ensemble le point sur les dernières 24h et C. les a résumées ainsi : « Maintenant, je comprends pourquoi ils nous ont pris nos lacets et nos soutiens-gorge. Sans vouloir vraiment me tuer, j'aurais fait n'importe quoi pour sortir de là. ».
APRES 31 HEURES; AVOCAT ET MOTIVATION DE L'ARRESTATION
J'ai pu voir mon avocat vers 1H du matin. Le lendemain samedi 1er Avril, vers midi, nous avons vu le procureur, tour à tour. Ils nous a annoncé que nous ne passerions pas en comparution immédiate, et nous a donné les dates de nos différents procès, tous début mai.
Tous pour le même motif : ENTRAVE A LA MISE EN MARCHE OU A LA CIRCULATION D'UN VEHICULE DE CHEMIN DE FER, PARTICIPATION SANS ARME A UN ATTROUPEMENT APRES SOMMATION DE SE DISPERSER.
Nous avons ensuite été « relâchées » et avons retrouvé nos amis qui nous attendaient toujours.
Si ce témoignage vous choque autant que moi, j'espère que vous comprendrez aussi mes craintes par rapport au jugement compte tenu des mesures dissuasives mises en places par le gouvernement. S'il vous était possible de me communiquer tous les éléments d'association, d'aide, ou même de moyens de diffusion massive de ce témoignage, svp je vous en serai très reconnaissante.
Cordialement
Léonore